Mars à Juin 2023

Publié le par Michel Mourlet

Publié dans le n° 72 de la Nouvelle Revue Universelle.

  

Mars

   L’écriture inclusive ou la logique de Loupiote. Il serait intéressant de rechercher s’il a existé avant la Révolution française des tentatives officielles de modifier la nature d’une chose à des fins socio-politiques, en lui affectant un autre nom ; voire en utilisant systématiquement  l’euphémisme : « citoyen » au lieu de « monsieur », « technicien de surface » pour « balayeur », « non voyant » pour « aveugle » ; mieux encore : une volonté de refonder une nation en renouvelant sa terminologie calendaire. L’écriture « inclusive » (d’origine plus ou moins canadienne) fournit à sa manière saugrenue un bel exemple de cette croyance naïve au pouvoir du langage sur la réalité, propre à la pensée magique, aux mentalités primitives, et que l’on supposerait aujourd’hui plutôt réservée aux usages privés, telles l’escroquerie ou la diffamation, et de façon plus générale à la manipulation des esprits.

   Le pratiquant de l’écriture inclusive est persuadé que l’infléchissement de la syntaxe va infléchir les rapports entre les humains comme l’adepte de la sorcellerie espère se venger d’un ennemi en enfonçant une épingle dans le ventre d’une poupée. Le crédule qui s’adonne à ce type de spéculation voit toujours en fin de compte le sable de la réalité s’écouler de ses doigts. On y a assisté avec l’utopie communiste. Pourtant ses prosélytes, avec l’arrogance intellectuelle de « ceux qui savent », nous avaient  tambouriné les oreilles pendant trois quarts de siècle en qualifiant de blanc ce qui était noir et de noir ce qui était blanc. Les fidèles de l’inclusivisme leur ressemblent à la virgule près. Ils raisonnent comme Loupiote, ma petite chienne guettée par l’embonpoint, quand, au cours d’un repas, le dieu que je suis pour elle décide de lui refuser le morceau qu’elle quémande : si elle se trouve à ma droite, elle passe à gauche de ma chaise et réclame de plus belle ce qu’elle estime son dû. Sa logique particulière l’amène en effet à supputer que le simple fait de changer de place – comme les néoféministes changent une disposition grammaticale ‒ aura pour effet d’inverser le sens de ma décision !

v

 Un 49.3 à la six-quatre-deux. Le recours au 49.3 pour faire passer en force la réforme des retraites engendre des polémiques : les uns mettent en cause la Constitution de la Ve République, selon eux inadaptée parce que « les temps changent » ; ils voudraient la remodeler. D’autres rêvent, sous le nom de VIe, de revenir à la IVe tellement plus démocratique et si sympathiquement ingouvernable. Quant aux légalistes, ils vous démontrent que l’utilisation de l’article est justifiée, à la fois parce qu’il est inscrit dans la Loi fondamentale et parce qu’il a déjà servi cent fois.

   Tous raisonnent comme des casseroles : parmi les gens de bon sens, qui pourrait s’en étonner ? Ce n’est pas la Ve République qui est hors d’usage, ce ne sont pas les institutions : en de bonnes mains elles fonctionneraient très bien.  La faute incombe aux incapables qui s’en servent à des fins incompatibles avec les principes qui ont guidé leur fondateur. Le 49.3 a été voulu par le Général pour éviter à l’action gouvernementale de se trouver sans cesse paralysée par ce qu’il appelait le « régime des partis ». Cet article a été conçu contre les chamailleries et criailleries des parlementaires, qui ne reflètent jamais le vœu majoritaire ni l’intérêt de la nation mais seulement les antagonismes incohérents d’idéologues à œillères ou des revendications d’intérêts particuliers. En aucun cas cet article n’a été destiné à briser la volonté du peuple, sur laquelle précisément s’appuyait le Général. Ne s’est-il pas démis quand elle lui a manqué ?

   Par conséquent, ce que n’aurait jamais accepté le Général et qui frappe d’illégitimité le recours à l’article 49.3 pour faire passer la réforme, c’est d’ignorer les 80 % de Français (selon les derniers sondages) qui, bien qu’elle soit peut-être nécessaire, pour le moment et dans ces conditions n’en veulent pas.

v

   Quand le rideau tombe. Si certains membres encore jeunes de ce gouvernement à la dérive  n’ont pas leur ambition suffisamment rassasiée, leur seule chance de survie politique serait  de démissionner avec éclat. De se désolidariser ouvertement de la nuisance, désormais visible pour les trois quarts des Français, de ce pouvoir aussi détestable que le précédent, celui de Moi-Président-Normal. Sinon, ils risquent d’être jetés avec le bébé, l’eau du bain, le savon et la crème adoucissante, comme MM. Montebourg,  Valls et consorts. La politique n’est pas complètement un spectacle théâtral : le rideau qui tombe sur les illusionnistes a le tranchant d’une guillotine.

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   Le voyage en Chine. M. Macron, qui ne représente plus rien, surtout pas la France, encore moins les Français, et Madame Ursule, qui jamais n’a représenté quoi que ce fût, sinon une importante colonie de rongeurs  grignotant le fromage de nos contributions, vont rendre visite à l’un des maîtres du jeu mondial. Pourquoi ? En  novembre dernier, dans ce même Journal, j’imaginais Madame Ursule apprenant «  toutes affaires cessantes le chinois » : elle souhaite à présent tester son vocabulaire sur place et faire des emplettes à Pékin où la vie est moins chère qu’à Bruxelles. M. Macron, lui, à la puanteur des ordures hidalguiennes et aux noms d’oiseau qui l’accueillent dès qu’il pointe le bec hors de l’Élysée, préfère assurément le thé au jasmin. Tous deux ont donc d’excellentes raisons de se rendre en Chine.  Pendant quelques heures ils auront été entourés  de courbettes et de sourires impénétrables ; on aura répondu « Mais bien sûr ! Avec plaisir ! » à chacune de leurs propositions, sollicitations, remontrances, quel qu’en fût le contenu. Au retour, ils afficheront la satisfaction de leur succès diplomatique. En outre, cela ne nous aura coûté que quelques dizaines de milliers d’euros. « Que veulent de plus les Français ? » demandera (au cabinet McKinsey) notre microprésident, le front creusé d’un profond sillon d’inquiétude.

   Avril

   « Eadem sed aliter » (devise de l’Histoire selon Schopenhauer). Ceux, frappés d’amnésie, qui prétendent que l’Histoire ne repasse jamais les plats me font penser à Héraclite, et à son fleuve où l’on ne se plonge « jamais deux fois dans la même eau », fragment dont la traduction approximative est rabâchée avec délice par les amnésiques en question. Produit des passions humaines, l’Histoire, depuis l’âge des cavernes repasse les mêmes plats. Seules changent les épices. Excuserons-nous Héraclite d’avoir ignoré le cycle hydrologique ?

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   Suite du voyage en Chine. Bienheureuse surprise. Savourons-la vite, car nous serons bientôt déçus. Pour la première fois depuis que ce roitelet huppé tente en voletant à droite à de gauche d’occuper le vaste trône de la France, après son séjour dans un pays où seuls nos intérêts économiques entrent en jeu, notre président a trouvé des paroles conformes à la diplomatie française telle que le Général l’avait définie et pratiquée. M. Macron a suivi l’exemple de celui qui, contre vents et marées venus d’Amérique, a le premier reconnu l’État chinois. C’était aux temps splendides où notre pays était encore gouverné, respecté, et où il projetait sa politique non alignée partout sur la planète. Quarante-deux ans de soumission à l’atlantisme et à l’européisme (tantôt l’un,  tantôt l’autre, le plus souvent les deux ensemble) ont abaissé  la France au niveau des employés de maison ; en l’occurrence la Maison Blanche. Et voici que M. Macron  déclare que l’Europe doit rester neutre dans l’affaire formosane !

   Bien entendu  cette déclaration frappée au coin du bon sens déclenche l’ire du pyromane américain et de ses sbires. L’erreur a sans doute été d’impliquer l’Europe vassale dans cette timide amorce d’autonomie diplomatique. C’était se condamner d’avance à être désavoué, et de surcroît inaudible ainsi que l’a toujours été et le restera jusqu’à liquéfaction complète le monstre gluant de l’Euroland. (Les lecteurs de Cocteau l’ont depuis longtemps identifié : dans son aquarium bruxellois il appartient pour notre malheur à la même espèce que le Potomak.)

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   De l’importance du point de vue. Le cinéaste John Cassavetes, paraît-il, a énoncé un jour cette énormité redondante : « Je déteste l’idée qu’un film est fait par le cadre ou la caméra. Je n’ai jamais vu une bonne scène qui ne soit bonne quel que soit l’angle de la caméra. » Énormité recueillie pieusement. Il y avait pourtant deux rappels urgents à faire au cinéaste, sans doute embrumé ce jour-là par un ou deux verres de trop. Premier rappel : l’angle de la caméra n’est rien d’autre que celui sous lequel le spectateur va regarder la scène. Ce n’est pas la caméra, objet inerte et inconscient, qui est en cause, mais l’œil et le jugement de l’observateur ; second rappel : ce que Cassavetes nomme le « cadre », c’est tout bonnement le champ visuel de l’observateur, lequel, selon l’endroit où il se trouve, en retiendra, valorisera, minimisera ou ignorera tel aspect, tel détail capital, de nature à orienter sa réception de l’action. Si Sternberg, voulant montrer que les yeux de Marlène fascinent un homme en face d’elle, l’avait filmée de dos, masquant à demi son admirateur, avec une caméra placée à dix mètres derrière une branche d’arbre, la scène eût-elle  été magnifiquement jouée...

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    Anastasie affûte ses ciseaux. Certains critiquent mollement, beaucoup condamnent à juste raison l’indigne tripatouillage des textes littéraires destiné à les mettre en conformité avec le nouvel Ordre moral, qui menace de dépasser en nuisance et stupidité les objectifs du procureur Pinard et du maréchal de Mac-Mahon réunis. Toutefois, je me demande où ils étaient, ces protestataires, lorsqu’à la fin du siècle dernier on a représenté un Marchand de Venise dont la « livre de chair » exigée par Shylock avait disparu. Où se cachent-ils lorsqu’on bannit des librairies et des bibliothèques Béraud ou  Brasillach ?

 Un professeur de littérature invité au micro de France Intox pour donner son avis sur ce vandalisme vertueux, en réalité pour essayer d’en atténuer le ridicule et d’en justifier l’infamie, a vendu la mèche. Si des éditeurs sans vergogne en arrivent à trahir ainsi leur mission : protéger le patrimoine de l’écrit pour le transmettre, ce n’est point tant pour obéir au nouveau code de bonne conscience – la plupart s’en battent l’œil et c’est heureux  ̶  que pour sécuriser leurs ventes en s’efforçant de ne chagriner personne.

   Les ciseaux de la censure sont un très ancien instrument, inventé par des imbéciles pour éduquer d’autres imbéciles et qui, jadis, avait surtout pour effet d’attirer l’attention sur les œuvres mutilées. Les élucubrations un peu rugueuses du « divin Marquis » n’auraient peut-être pas connu une postérité aussi flamboyante sans ses ennuis judiciaro-psychiatriques et Flaubert doit à son procès une part notable du succès précoce de Madame Bovary.

   Le public français dans son ensemble, il est vrai, en ce temps-là pétillait de curiosité : friand de philosophie – fût-elle dans le boudoir  –, affamé de romans, de poésie. Pour mesurer l’atonie où nous sommes, je ne résiste pas au plaisir de rappeler que la revue Les Annales politiques et littéraires, à laquelle Alphonse Daudet, Janin, entre autres, collaborèrent, fondée en 1883 par la famille figaresque des Brisson, s’est vendue jusqu’à deux cent mille exemplaires, et que ses équivalents de la seconde moitié du XXe siècle : Nouvelles littéraires, Figaro littéraire (hebdomadaire indépendant du quotidien), Lettres françaises, se sont éteints faute de lecteurs. Assez jolie pièce à verser au dossier (contesté !) « C’était quand même mieux avant », dans la sous-cote déjà épaisse « Effondrement de la culture dans la population ».

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   Discours de la méthode (française). Mayotte est un cas d’école intéressant : ce qui est en train de s’y passer donne à voir, grossie à la loupe, la méthode française de gouvernement dans la plupart des situations et ce qui chaque fois en résulte. Le phénomène de congestion migratoire engendré par la différence entre les avantages offerts par la France et la misère comorienne a commencé de se manifester dès leur mise en place. Ce phénomène est donc, à l’origine, la conséquence du « droit du sol », qui confère automatiquement la nationalité française aux enfants nés sur place de parents étrangers.

   Il faut savoir d’autre part que les droits du sol ou du sang, depuis l’antiquité jusqu’à une époque récente, avaient toujours été pratiqués rationnellement. Au cours des siècles, chaque nation a légiféré en faveur de l’un ou de l’autre selon son intérêt démographique, économique (imposition des citoyens), voire militaire, ce dernier lié à la démographie. C’est à partir des dérives idéologiques de la gauche, en particulier en France, que le droit du sol a cessé d’être un régulateur arithmétique pour devenir une valeur d’espèce morale. Dès lors, selon un processus dont nous avons l’habitude et qui obéit à la primauté – admise aujourd’hui par la faiblesse de l’État  ̶  de la tyrannie humanitaire sur le bon sens, il apparaît pratiquement impossible de rétablir le droit le plus naturel, qui a toujours été celui du sang, quand la raison et l’intérêt national le commandent.

  Dès les premiers symptômes d’envahissement de Mayotte par les cousins comoriens traînant guenille, envahissement logique, d’ailleurs annoncé, puis dénoncé par les clairvoyants, un gouvernement digne de ce nom, j’entends : capable d’apercevoir les déterminismes prévisibles, et d’ainsi prévenir les catastrophes, un tel gouvernement aurait pris les mesures appropriées. Il n’y en avait, du reste, pas trente-six. Une seule aurait suffi : la suppression du jus soli. Cela eût sans nul doute déclenché dans la ménagerie eurolandaise et tartuffienne, qui tente à chaque occasion de désagréger un peu plus la France, quelques cris d’animaux sans la moindre importance. C’eût été l’occasion de rappeler à certains tribunaux que leur rôle n’est pas d’empêcher le gouvernement de gouverner ; et de les remettre à leur place, au besoin en en créant d’autres, comme avait su le faire le Général qui, lui, savait gouverner, Et Mayotte, aujourd’hui, apporterait à ses habitants légitimes le vivre-en-paix qu’ils réclament en vain à la France.

Ces citoyens malmenés devraient pourtant connaître la manière si particulière dont la classe gouvernante française, de nos jours, écoute la population. Et sa méthode, appliquée à tous les cas en tous domaines : laisser l’incendiaire craquer l’allumette, regarder ailleurs pendant que les flammes gagnent les étages, intervenir enfin quand la maison s’écroule et qu’il est trop tard. Chers compatriotes mahorais, je vous souhaite, au moins pendant quatre ans, encore bien du plaisir.

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    Il y a Nikola et Nicolas. Découvert – et écouté – avec une stupéfaction émerveillée, sur CNews, un politologue qui comprend ce qui est en train de se produire, non seulement à l’est de l’Europe, mais sur l’ensemble du globe. Et qui ose l’expliquer à voix haute ! Il s’appelle Nikola Mirkovic. Retenons bien ce nom. En voilà un qui ne sera jamais invité par France Intox, la chaîne célèbre pour son respect de la pluralité des opinions pourvu qu’elles aillent dans le même sens.

   M. Mirkovic se borne pourtant à décrire ce que tout le monde pourrait voir, à condition de desserrer le bandeau que la propagande d’outre-Atlantique a savamment noué autour de nos têtes. L’ère unipolaire est en cours d’achèvement. L’empire américain, dès l’origine, s’est conçu comme modèle et a toujours visé un seul objectif : l’américanisation universelle, aujourd’hui surnommée « mondialisation ». Son instrument idéologique est une démocratie qui récuse la voix des peuples,  et son arme le dollar appuyé par la force militaire, Comme tout empire, par nature trop gourmand puisque fondé, non pas sur une volonté collective d’indépendance et d’identité, mais sur une dynamique d’expansion ininterrompue, l’empire de la mondialisation américaine est fragile. Il commence à se déliter. Il perd un à un les divers monopoles économique, financier, militaire, raflés à l’occasion des deux guerres mondiales et de l’effondrement de l’URSS.

   Cet affaiblissement le rend nerveux et le pousse à d’incessantes provocations visant à déstabiliser ses adversaires (c’est-à-dire, hormis Israël, à peu près le reste du monde) et à enchaîner davantage ses vassaux européens.

   M. Mirkovic discerne parfaitement le rôle que devrait jouer la France en cette occurrence si elle disposait encore d’une diplomatie souveraine, comme ce fut le cas jusqu’aux reniements du calamiteux Sarkozy. Car ce ne sont pas les temps qui ont changé, comme voudraient nous le faire accroire les apôtres de l’incapacité française, ce sont les hommes. Le retour dans l’OTAN, bras armé de Washington, fut assurément avec la forfaiture du traité de Lisbonne, l’une des causes principales de notre impuissance, désormais, à peser sur quoi que ce soit qui engage notre destin.

   Un nouvel ordre mondial se dessine, multipolaire, celui même que souhaitait De Gaulle. Puisque la France a démissionné de son rôle et de son rang pour  se soumettre à la bannière étoilée, la diplomatie chinoise prend les choses en main.  

 

 Mai

   Les maux de la langue : la grammaire tombée en quenouille. Il y a des gens qui croient que la terre est plate. D’autres sont persuadés que le soleil tourne autour de nous et que nous sommes au centre de l’univers. D’autres encore affirment que les Égyptiens maîtrisaient l’électricité. Quand j’avais six ou sept ans, je pensais que les enfants étaient conçus d’un baiser sur la bouche (hypothèse tout de même moins aventureuse que de les faire naître dans un chou). Il existe aussi des intelligences affaiblies et des systèmes hormonaux en détresse, devenus inaptes à établir la distinction entre homme et femme, sauf là où elle n’a rien à faire en assimilant les sexes biologiques aux genres grammaticaux. Et, disait cette enfant, cela en dépit de la nouvelle recrue (encore une dupe de la sentinelle !), malgré les bonnes et les vieilles gens, malgré cette baderne, cette ganache de vigie, car aucune des personnes présentes, toutes du sexe masculin, n’a vu venir la brute, la canaille, la crapule, la fripouille : cette basse, grande vedette, époux d’une soprano, dont l’estafette allait être la victime.

  v

   Sept personnages en quête d’auteur. Entendu un dialogue étonnant, vrai révélateur d’époque, ce matin du 26 mai, à la radio. M. Laurent Tapie, fils de Bernard, était invité à parler d’une souscription destinée à financer l’érection d’un groupe sculpté monumental à la gloire de son père et de son rôle passager à la tête de l’Olympique de Marseille.

   À l’aube du siècle dernier, une affaire de statue avait mis la France en émoi presque autant que l’affaire Dreyfus : Renan à Tréguier. Qu’on veuille aujourd’hui immortaliser dans le bronze la mémoire d’un affairiste promu ministre comme fut nommé consul le cheval de Caligula, tandis que se dissout dans l’obscurité de la conscience collective le souvenir de nos plus grands écrivains et savants, cela n’a rien pour surprendre, tant l’inversion des valeurs nous est maintenant familière. Ce n’est pas du tout sur ce point, que s’est portée mon attention.

   La conversation radiophonique nous a instruits du détail de l’opération : budget nécessaire (300 000 euros), emplacement choisi, éléments de la figuration (Tapie porté en triomphe sur les épaules de six joueurs connus). Restait la question la plus importante, la seule à vrai dire susceptible d’intéresser l’ensemble des auditeurs, y compris les plus indifférents au ballon rond : quel est celui dont le travail, le talent, le génie peut-être, va concrétiser, rendre visible et palpable ce qui sans lui n’existerait pas ? Quel sculpteur a été choisi et pourquoi ?  Eh bien, si incroyable que cela puisse paraître, M. Tapie fils quitta le micro sans que la question lui eût été posée.

     v

   Les jolies colonies de rats dansent. Pierre Perret vient d’écrire, et interprète avec toute la verdeur de ses quatre-vingt-huit beaujolais nouveaux, une chansonnette fort bien troussée à la gloire des ordures parisiennes et de l’équipe de « crânes de piaf dégourdis / Qui bouffent des graines à la mairie ». Le fidèle de Léautaud, l’admirateur de Brassens, enrage de voir  « Paris, Paris dégoûtant » où « seuls les rats sont contents ». Sa conclusion est sans appel : « le Paris du Grand Charles outragé / C'est un Paris saccagé ». Je me demande avec un brin de gourmandise comment va réagir la maffia de la Parole unique.

     v

   Le vieux lion voyait clair. Reçu de François Kasbi un fort intéressant « papier » sur Druon et Kessel qu’il destine à Causeur et dont l’un des axes est le rapport entre l’« extérieur », l’apparence physique, d’un individu et sa qualité intérieure, rapport dont j’ai souvent fait état, notamment dans mes écrits sur le cinéma, puisqu’il est l’un des fondements de l’art dramatique (« emploi » et contre-emploi des comédiens). Je lui réponds :

« Nous avions en effet déjà évoqué cette idée de la relation entre physique et moral, idée peu sollicitée et encore moins admise car agaçante pour beaucoup. Balzac et Léonard de Vinci, parmi d’autres,  lui ont pourtant apporté une caution explicite, et ce ne sont pas les amateurs éclairés de cinéma qui la discuteront, le cinéma étant par excellence l’art des apparences qui dévoilent la réalité.

   » Je n’ai rien lu de Kessel, mais votre article m’a incité à relire les pages que j’avais consacrées à Druon, rencontré au début des années 80, dans Une Vie en liberté (« Druon, le vieux lion qui griffait encore »). En fait, pour ma part, je ne pourrai jamais considérer ce capitaine d’industrie littéraire comme un « grand écrivain ». Il y a, je crois, une incompatibilité de nature entre les usiniers de la plume tels que lui, Pierre Frondaie (l’Homme à l’hispano), Jean d’Ormesson (polygraphe sur d’autres thèmes !) ou consorts  ̶  Dumas étant la fulgurante exception  ̶  et les artisans du verbe, dont le saint patron est Flaubert et l’objectif tout différent, même si parfois le résultat est analogue : Balzac, Hugo, etc.

   » Je tiens, certes, Druon pour un auteur important, mais moins pour l’excellente matière à scénarios dont il a enrichi nos écrans que pour la lucidité du regard politique et historique dont, essayiste, il a fait preuve jusqu’à la fin. Je dis bien : jusqu’à la fin, pour répondre à votre citation de Laurent Joffrin qui, comme à son habitude, bercé au creux de son fauteuil par la douce mélodie de la Pensée unique, essaie de faire la part des choses.

   » Si on avait écouté Druon et lu, au printemps 81, ce livre prémonitoire : Attention la France ! au lieu de donner carte blanche au nuage de sauterelles (prêches des tartuffes, démagogie sans frein, atlantisme, européisme, incompétence économique, affairisme) qui allait s’abattre sur notre pays, nous n’en serions pas là où nous en sommes. Et, corollairement, les fous idéologiques ne tiendraient pas le haut du pavé. »

 

   Juin

      La politique est une branche de la chimie. Dans un article mis en ligne par Challenges le 5 de ce mois, M. Maurice Szafran commente « la fin de la Nupes ». On me dira que c’est le rôle d’un journaliste de commenter un événement. Sans doute, mais on ne m’ôtera pas de l’idée que ce rôle serait encore plus utile si le journaliste, au lieu de paraphraser l’événement après coup, le prévoyait  dans une analyse anticipatrice. En de nombreux cas il lui suffirait de disposer de trois outils relativement banals : une expérience des hommes, une connaissance de l’Histoire, un fonctionnement logique du cerveau. Et, avant de les utiliser, de nettoyer son esprit de tout encrassement sectaire ; j’irai jusqu’à dire : de toute préférence. Au moment même de sa formation, il était aisé d’annoncer la fin de la Nupes. Les lecteurs de la NRU ne me démentiront pas, qui ont lu dans ce Journal critique daté de juin 2022 (N° 68), soit il y a exactement un an, une note intitulée « La Journée des Nupes ». Bien qu’il soit toujours un peu gênant de se citer soi-même, en voici un court extrait :

   « Le Mélenronchon des faubourgs se regarde déjà dans la glace déguisé en Richelieu. Pour obtenir cet improbable résultat, il a passé à la moulinette des partisans de l’anti-européisme, de l’anti-mondialisme, de l’anti-nucléaire, mélangés à leur contraire. Non seulement il va manquer son objectif ministériel, mais à la première ou seconde mesure soumise au vote de l’Assemblée pour ou contre l’énergie nucléaire, l’obéissance aux injonctions de Bruxelles, à la politique de Washington, son salmigondis de carpes et de lapins, bricolage circonstanciel pour additionner des voix dont le seul dénominateur commun est le vocable « gauche », éclatera en morceaux. »

   Un affrontement sérieux sur un sujet sensible n’a même pas été nécessaire. La simple mise en contact des éléments hétérogènes, voire, pour certains, mutuellement répulsifs, a suffi à provoquer la fêlure. La gauche sait taire ses divisions pour intimider la droite molle et lui imposer son catéchisme. De là à construire une politique...

©Michel Mourlet  et La Nouvelle Revue Universelle                                                               1, rue de Courcelles – 75008 Paris - 01 42 57 43 22

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