Présidentielle : Si les candidats s'intéressaient à la Culture...

Publié le par Michel Mourlet

 

... Et d’abord, s’ils avaient lu le Petit Livre rouge, ils auraient appris de Mao que, selon un vieux dicton de la sagesse chinoise, « le poisson pourrit par la tête ».

Observant le déroulement de la campagne présidentielle, on constate que pratiquement aucune place n’a été réservée à la Culture, pas même par la gauche qui en détient pourtant le monopole avec les conséquences que l’on sait. Il existe là une faille ; et pour un concurrent favori ou non c’eût été une belle occasion d’attirer l’attention. Le monde intellectuel et culturel est exigu en nombre mais son influence n’est pas à démontrer. Il devrait constituer par conséquent l’une des cibles principales de toute stratégie de conquête du pouvoir.

Les candidats de 2017 auraient dû se rappeler plusieurs faits marquants de l’histoire de la Ve République. Donnons-en quatre exemples. D’abord la part considérable prise par le ministre des affaires culturelles (Malraux) en ses débuts ; ensuite, l’importance accordée aux questions culturelles par Giscard candidat et, une fois élu, à la séduction de l’intelligentsia ; puis, la promotion et la publicité organisées et agitées sans cesse par Jack Lang autour des actions de son ministère, certainement l’instrument le plus efficace pour agréger le monde de la Culture au parti socialiste ; enfin, le 9 mars 2007, le fameux discours de Caen du candidat Sarkozy, dont le long passage sur la langue française avait enflammé les cœurs et lui avait apporté quantité de suffrages encore indécis.

De nombreux problèmes attendent des solutions dans ces domaines peut-être moins urgents ou moins vitaux que d’autres, mais représentés par un corps électoral dont le poids réel est inversement proportionnel à la quantité et dont la force d’appoint peut se révéler décisive. Négliger la fraction de la population qui a orienté son existence vers les activités intellectuelles et artistiques, c’est s’occuper du corps et se désintéresser de la tête sous prétexte qu’elle ne pèse qu’un trentième du poids total.

Des propositions concrètes sont avancées ci-dessous. Loin de prétendre faire le tour de tout ce qui fonctionne mal ou pourrait fonctionner mieux en matière de culture (et de son enseignement), elles ne visent qu’à donner à ceux qui désirent endosser les responsabilités du pouvoir un commencement de prise sur des réalités qui semblent quelque peu leur échapper.

 

Note liminaire

 

Avant toute proposition relative à une politique de la culture, les acteurs du monde culturel attendent d’un candidat à l’élection présidentielle, non pas des promesses, mais un engagement personnel et solennel inédit : ne pas toucher au budget global de la Culture quelles que soient les réductions budgétaires envisagées. Ils savent en effet que leurs activités garnissent la vitrine de la France. Avec les produits de luxe et la gastronomie, elles apportent une contribution éminente à l’attractivité du tourisme, ce dernier produisant entre 7 et 8 % du PIB. Ils savent aussi par expérience que l’enveloppe attribuée aux activités culturelles est toujours la première sacrifiée, en particulier par la droite. Le péché capital de celle-ci, toutes tendances confondues, c’est d’avoir abandonné la culture à la gauche. L’une de ses tâches les plus urgentes, si elle accédait au podium, est de remédier à cette situation. À cet effet, et parce que l’Éducation est indissociable de la Culture, je suggère la création d’un grand Ministère d’État de l’Éducation et de la Culture, qui regrouperait les services des deux ministères, offrant de surcroît l’avantage d’en alléger par économie d’échelle le coût de fonctionnement.

 

 

 

Patrimoine architectural et arts plastiques

 

Communication claire et référendum local sur les projets. Tout projet urbanistique, architectural ou décoratif d’envergure, susceptible de modifier l’aspect du lieu d’implantation ou la vie quotidienne de ses habitants, devra faire l’objet d’une présentation publique détaillée, suivie d’un référendum local dont le résultat, en cas de rejet, sera suspensif pendant deux ans. Dans cet intervalle, un ou plusieurs autres projets de remplacement pourront être proposés à la population, une concertation s’établir entre techniciens, élus locaux, responsables divers. Une seconde consultation référendaire, cette fois sans appel, décidera de la réalisation ou non, dans l’une quelconque de ses versions, de l’aménagement envisagé.

 

Commandes de l’État. Dans le cas de commandes intéressant la culture nationale (la physionomie d’une ville, la beauté d’un site naturel par exemple...), priorité doit être donnée aux concepteurs (architectes, ingénieurs...) français, et aux projets en harmonie avec l’existant. En revanche, tout projet ex nihilo (« ville nouvelle », quartier ou monument à l’écart des traces historiques, circulation souterraine, etc.) peut et doit faire l’objet de concours internationaux.

 

Renforcer le droit de préemption en augmentant les moyens financiers et juridiques de l’État de façon à s’opposer plus efficacement à l’hémorragie d’œuvres d’art subie par notre pays, alors qu’elles en sont l’un des attraits. Orienter le mécénat privé, entreprises et particuliers, vers cet objectif (partenariats avec l’État) et aussi vers le rachat en cas de vente à l’étranger.

 

Palais des Tuileries. Réactivation du projet (endormi sous le quinquennat de Hollande, sans doute pour raison idéologique) de reconstruction présenté en 2011 par le « Comité national pour la reconstruction des Tuileries » (http://www.tuileries.org/), finançable par souscription nationale et internationale, avec aménagement intérieur privilégiant la muséographie et éventuellement une salle de spectacle. Restituant son sens et son harmonie au Jardin des Tuileries qui bâille depuis près d’un siècle et demi comme un écrin vide, le bâtiment pourra exposer notamment, en permanence, les trésors accumulés dans les réserves du Musée du Louvre et jamais montrés au public par manque de place. Rappelons une réalité occultée par les opposants à ce projet : en raison des destructions provoquées tant par la nature que par l’homme, une partie importante du patrimoine architectural et artistique de l’humanité n’existe encore et ne peut être admirée que grâce à des reconstructions, réparations, restaurations, reconstitutions à l’identique, partielles ou totales.

 

Musées en région. Par des « événements », des expositions temporaires, une amélioration de la communication, mise en valeur systématique des collections souvent remarquables des musées de province, boudés par le grand public qui, venant parfois de fort loin, se presse en foule aux expositions parisiennes. Faire pour les arts plastiques « décentralisés » ce qui a été réussi pour le théâtre, la musique, les festivals d’été. Et en outre, grâce à l’augmentation des recettes, renforcer la protection souvent incertaine des œuvres exposées ou entreposées.

 

Audiovisuel et Multimédia

 

Chaîne du patrimoine télévisé. Création d'une chaîne de Télévision Numérique Terrestre (TNT), gratuite avec publicité, en partenariat avec l’INA (qui propose un abonnement payant pour visionnage en ligne, peu suivi) exclusivement consacrée au patrimoine télévisé depuis les débuts. La chaîne, emblématiquement, pourrait porter le sigle historique « RTF » en précisant : « RTF Télévision ».

 

En synergie avec la chaîne TV, création d’une chaine radio consacrée au patrimoine radiophonique, sous la dénomination « RTF Radio ».

 

Création d’un Centre international de la Vidéo et du Multimédia (CIVIM). Dépôt, archivage et consultation des œuvres, musée de l’audiovisuel, salle de projection, salle de visionnage sur moniteurs individuels, bibliothèque, ateliers pour stages de formation et de perfectionnement. Festival annuel. La rénovation à cet effet d’un bâtiment proche ou faisant partie d’une grande ville serait souhaitable, sans exclure une construction neuve.

 

 

Langue française

 

Renforcement de l’action à mener en faveur de la défense et du rayonnement de la langue française, devoir historiquement assumé par l’État depuis François 1er, et qui a permis jusqu’à une époque récente une transmission inégalée de notre patrimoine linguistique et littéraire. Les moyens mis en œuvre sont de plus en plus insuffisants car la volonté politique fait défaut. Les mentalités décisionnaires à cet égard sont aujourd’hui la copie conforme de celles qui, à travers l’Histoire, conduisirent toujours une fraction importante des élites sur la voie alléchante de la collaboration avec l’adversaire. Pour que notre langue, ambassadrice de la puissance politique, économique et culturelle de notre pays, et qui reste notre meilleur instrument de communication, conserve ou retrouve, selon les cas, son statut universel, plusieurs mesures urgentes doivent être prises, à défaut de quoi elle connaîtra le sort de toutes les langues mortes, et la France celui des nations qui ont oublié de les parler :

  • La loi Toubon, édulcorée au fil des années, des jurisprudences, des pressions et des usages délétères de Bruxelles, doit impérativement être restaurée dans son intégralité et appliquée avec une rigueur accrue, notamment dans le domaine de la publicité et de la communication. Le gouvernement devra se pencher aussi sur le cas de ses fonctionnaires linguistiquement colonisés qui jargonnent hors frontières et sans motif valable la langue de ceux qu’ils reconnaissent ipso facto comme leurs véritables employeurs.

  • La formation des élites dans nos grandes écoles doit s’accompagner d’incitation à une prise de conscience des enjeux linguistiques à moyen et long terme, contre la croyance myope à une supposée efficacité attractive et commerciale de l’anglo-américain, jamais démontrée dans les faits et déjà en phase de péremption du fait de la lente et inéluctable montée en puissance d’autres blocs linguistiques (chinois et hispanophone en particulier).

  • La même démarche doit être entreprise à tous niveaux de l’Éducation nationale, depuis la « maternelle » jusqu’à la formation des professeurs. L’apprentissage du français sera renforcé dans les programmes ainsi que les outils de sa maîtrise restaurés, particulièrement l’orthographe et la grammaire outrageusement délaissées depuis plusieurs décennies. Le principe de cette révolution pédagogique, ou plus exactement de ce retour aux méthodes qui avaient fait leurs preuves, doit être le suivant : les enfants de culture française ne sauraient être pénalisés et leur avenir compromis sous prétexte que d’autres enfants de cultures allogènes ne seraient pas en mesure de se conformer de la même façon aux mêmes règles. Face aux disparités culturelles fondatrices (langue maternelle, traditions ethniques et sociétales), le principe d’égalitarisme pédagogique n’offre rigoureusement aucun sens et son unique résultat est de tirer de plus en plus la moyenne vers le bas.

  • Pour assurer la mise en œuvre effective de ce bouleversement des mentalités par rapport au prosélytisme anglomaniaque et au laxisme ambiant, dont l’exemple le plus récent est le slogan de la candidature parisienne aux Jeux olympiques, un contrôle assorti de sanctions (traitement, avancement...) est nécessaire, au moins dans une période de transition. Un corps d’inspecteurs spécialisés sera recruté à cet effet.

  • Écoles de journalisme. Constatant que les médias de par leur nature et leur fonction sont en grande partie responsables de la détérioration générale de la langue, en ce qui concerne les anglicismes inutiles, l’appauvrissement du vocabulaire, la fantaisie de la prononciation et la maltraitance de la syntaxe, notre attention doit se tourner vers les écoles de journalisme et leur manière de traiter la langue française, pour y introduire obligatoirement ou y renforcer selon les cas une formation spéciale des étudiants à cette discipline qui est leur instrument de travail.

  • Le budget alloué à la cause de la Francophonie pour les actions sur le terrain (centres culturels de l’Institut français, subventions aux Alliances Françaises) ne doit en aucun cas être affecté par une réduction des dépenses. Il doit au contraire faire l’objet d’une réflexion approfondie, capable de dégager des ressources nouvelles, par exemple dans le domaine du mécénat des entreprises exportatrices ou importatrices (voir ci-dessous : « Agence nationale du Mécénat »), ou encore dans le cadre d’un partenariat commercial décomplexé.

     

    Spectacle

     

    Problème récurrent des « intermittents ». Surtout, même s’il comporte des abus, ne pas remettre en question le régime des intermittents du spectacle (environ 250 000), source inépuisable de conflits. En signe fort de désamorçage des exigences latentes du MEDEF, particulièrement maladroites (on se rappelle leur résultat depuis une quinzaine d’années), je préconise la création d'une Maison de la musique et du spectacle réservée aux projets des artistes dramatiques et techniciens du spectacle demandeurs d'emploi ou en situation d’emploi précaire. L'Administrateur général en serait désigné par le gouvernement et responsable devant la Nation. L'institution serait gérée par un Collège permanent issu des rangs des Intermittents et élu par eux.

    Les services techniques seraient assurés par une équipe permanente issue de ces mêmes rangs (et donc sortie de son « intermittence »), choisie par l'Administrateur en raison de sa compétence. Les artistes, adoubés par le Collège sur présentation d’un projet, y travailleraient sous contrat d’un an et, à la fin de l’année ouvrée, laisseraient la place à d’autres intermittents ayant postulé de la même façon.

    Le programme des spectacles, composé par le Collège sur le mode de l’alternance à partir des projets déposés par les Intermittents, devrait intégrer une part notable (déterminée chaque année selon qualité et quantité) d’œuvres inédites, passées au banc d'essai de représentations complètes devant un vrai public. Cela pour pallier l'insuffisance des lectures susceptibles d’écarter un ouvrage sans lui avoir offert des conditions normales de représentation, de réception et de critique.

    Ainsi, par ce « banc d’essai » d’un genre totalement nouveau, serait offerte une véritable chance aux auteurs vivants et aux comédiens sous-employés, souvent aussi talentueux mais moins chanceux que leurs confrères. Tout spectacle remportant un succès suffisant par ce moyen serait évidemment susceptible de connaître ensuite une carrière dans les circuits habituels.

    La rémunération des artistes serait assurée par leur allocation-chômage, majorée s’il y a lieu de la répartition des recettes, ces dernières diminuées d’une part dévolue à la communication, promotion et publicité des spectacles et à la rémunération des auteurs et techniciens.

    Le lieu des représentations, et siège de l'institution, peut être soit un bâtiment désaffecté, rénové et adapté à cet usage, d'un volume permettant un volant de recettes suffisant, soit un bâtiment neuf (voir par exemple C proposition 2). Souhaitable en Ile-de-France, où résident la moitié des intermittents) ce lieu peut également s'imaginer décentralisé en région.

     

    Édition

     

    Centre national du livre. L’organisation des subventions aux éditeurs prend en compte l’ambition littéraire et la marginalité commerciale des projets, mais non le troisième paramètre : la taille de la maison d’édition. Il est anormal qu’un éditeur de dimension internationale reçoive pour l’édition ou la traduction d’un ouvrage réputé « difficile » une subvention dont sera privé du même coup un petit éditeur qui, lui, ne travaille que dans ce secteur et ignore la rentabilité de l’édition industrielle. Il y aura donc lieu d’introduire, parmi les nombreuses réformes déjà envisagées du CNL, la notion essentielle de dimension des entreprises subventionnées.

    Les petits éditeurs se multipliant à mesure que les grands se désengagent de l’édition non rentable, ils totalisent un chiffre d’affaire considérable ; additionnés, ils représentent probablement la plus grande structure éditoriale française, comme les artisans forment, dit-on, la plus grande entreprise. Au demeurant, la principale difficulté qu’ils rencontrent n’est pas d’éditer des livres à faible tirage, mais de les insérer dans le circuit de diffusion-distribution : l’accès des ouvrages imprimés aux librairies traditionnelles leur est pratiquement interdit. Les grands et moyens diffuseurs-distributeurs (Sodis, Interforum, CED, Harmonia Mundi, etc.) sont exclusivement réservés aux grandes et moyennes maisons d’édition, car ils exigent de leur part un important volume de production qui ne peut être assuré de façon régulière par les petits éditeurs. De ce fait, beaucoup de ceux-ci se tournent maintenant vers la seule vente en ligne sur leur propre catalogue, vers les librairies en ligne de type Amazon et vers l’édition dématérialisée. Ces solutions d’appoint ne remplacent pas la vente physique du livre-papier en librairie traditionnelle, d’où la fragilité et l’instabilité de ces petites entreprises, souvent plus exigeantes et plus actives dans l’optique d’une continuité du patrimoine littéraire que celles qu’anime la seule logique de la rentabilité.

    La fonction du CNL étant d’accompagner et d’aider l’édition française, le bon sens voudrait qu’il se focalise sur ce point faible, Or les subventions qu’il distribue parfois aux petits éditeurs ne sont que des compléments alimentaires, qui ne soignent pas la maladie. Il serait nécessaire de créer en son sein une structure de diffusion nationale et internationale réservée à l’édition française de taille modeste, sans aucune discrimination d’aucune sorte, notamment politique et confessionnelle, et qui s’associe à un distributeur « physique » (livraison en magasins) d’envergure nationale.

     

    Problème particulier des traductions. Les traductions en français d’ouvrages ou de textes de langue étrangère, trop souvent inférieures à l’original, souffrent notoirement du statut actuel des traducteurs que leur rémunération insuffisante contraint à bâcler leur travail. L’édition française dans son ensemble en pâtit. Ce statut mal reconnu devra, en vue de sa revalorisation, faire l’objet d’une concertation entre les représentants de la profession, leurs employeurs et les pouvoirs publics.

     

    Frais postaux. Le tarif des envois de livres par voie postale reste à mettre au point. Actuellement, l’envoi de livres à l’étranger jouit d’un régime spécifique et avantageux, mais non leur envoi à l’intérieur des frontières. Ce dernier, soumis au régime général du courrier (lettres missives et colis), inflige à l’ouvrage, par ce mode d’expédition très utilisé et eu égard au prix modique du produit expédié, un surcoût de l’ordre de 10 à 20 % qui pénalise fortement soit l’éditeur s’il le prend à sa charge, soit le client si ces frais postaux sont ajoutés à sa facture. Il est impératif pour le moins d’aligner le tarif national sur le tarif international.

     

    Musique

     

    Réhabilitation de l’enseignement musical obligatoire mais la plupart du temps négligé dans les « petites classes » précédant son enseignement optionnel au lycée. Il est aberrant que le choix ultérieur d’une option ne soit pas préparé par une mise à la disposition des élèves des éléments indispensables au discernement personnel de ses goûts et préférences. L’espèce de désaveu dont souffre depuis longtemps l’enseignement musical au sein de l’Éducation nationale a pour conséquence une complète inégalité des chances dans ce domaine, car l’entrainement ou non de l’enfant vers la musique ne repose plus que sur son entourage familial. (Un effort analogue serait à envisager pour l’ensemble des disciplines artistiques, généralement reléguées.)

     

    Privilégier les chanteurs français dans les productions lyriques, tout aussi qualifiés mais systématiquement écartés au profit de leurs collègues étrangers, bénéficiant souvent d’un cachet astronomique. (Consulter à ce sujet Gabriel Bacquier, et Michel Sénéchal, cofondateur avec Georges Prêtre de l’Association L’Art du Chant français). Là aussi, de nombreux artistes français sont sous-employés par pur snobisme de la préférence étrangère, déguisé en nécessité bienfaisante des échanges internationaux.

 

 

G. Aide à la création en général

 

Création d’une « Agence nationale du mécénat ».

Il existe actuellement une association, Admical, qui regroupe dans une sorte de club les grandes entreprises mécènes et publie un annuaire détaillant la liste de leurs centres d’intérêt et des opérations qu’elles parrainent. Cette association fondée en 1979 et reconnue d’utilité publique se donne mission de promouvoir en tant que conseil (publication de guides) et agent de liaison entre les divers acteurs privés et publics, le mécénat d’entreprise dans ses quatre terrains d’implantation : la culture, le sport, l’humanitaire, l’environnement.

Sans nul doute, Admical, par l’originalité de sa démarche, a joué un certain rôle dans l’exploration de ce gisement où, parmi les nations développées, la France reste à la traîne. Cependant, à l’évidence, elle ne dispose pas des moyens nécessaires pour donner une impulsion décisive au mécénat, voué par nature à compléter, soulager ou remplacer l’effort des finances publiques.

Cette vocation particulière conduit à une conséquence logique : étant directement concerné, c’est l’État lui-même qui devrait superviser et orienter l’organisation du mécénat d’entreprise comme du mécénat privé, tout en prenant acte de ce qui existe déjà dans ces domaines.

En France, on le sait, le mécénat n’est pas du tout au niveau de ce qu’il devrait être, et cette situation d’infériorité (par rapport aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne notamment) est due pour l’essentiel à deux facteurs aisément identifiables : d’une part, une incitation fiscale insuffisante, d’autre part l’absence presque complète de retombées en termes de notoriété dans les médias d’information.

Nous n’avons pas qualité ici pour évaluer ce qui pourrait être fait ou amélioré en matière de défiscalisation liée au parrainage de tel ou tel type d’opération. Notre propos se focalisera sur l’instrument dont l’État doit se doter pour intervenir en tous domaines relatifs au mécénat : une Agence sous contrôle interministériel avec une force et une efficacité – volonté politique, ressources financières – auxquelles ne saurait prétendre une structure associative, même animée des meilleures intentions.

La première tâche de cette Agence serait de transformer la mentalité française en matière de publicité du mécénat (y compris du mécénat individuel). Pourquoi une entreprise, de quelque dimension qu’elle soit, ou un particulier, débourseraient-ils une somme d’argent souvent importante pour la restauration d’un bâtiment historique, par exemple, s’ils n’en retirent aucune notoriété et, pour les entreprises, ne sont pas assurés d’en obtenir une publicité au moins équivalente à ce que leur rapporte, à budget identique, une campagne payée dans les médias ? Or, il y a dans notre pays une répugnance instinctive à associer ou à mélanger Culture et Commerce. Il nous est arrivé de lire, d’écouter de longs reportages sur des opérations ou manifestations parrainées par des sociétés dont le nom apparaît à peine au détour d’une phrase, quand il n’est pas purement et simplement occulté, comme cela vient de se produire à la télévision pour la renaissance du parc de Chambord. .

Ce réflexe de pudeur intempestive – inconnu hors de nos frontières – ne joue pas ou joue beaucoup moins dans un autre territoire du mécénat, le sport, où la publicité s’étale et où le mécène engrange des résultats à la hauteur de son investissement. Mais ce qui ressortit à l’activité culturelle : patrimoine, spectacles, expositions, festivals, édition, musique… souffre de cette particularité nationale de se voir interdire par une sorte de cordon sanitaire tout contact significatif avec le monde « impur » de la finance, du commerce et de l’industrie. Seule la télévision a brisé le tabou, parfois d’ailleurs assez malencontreusement, quand une chaîne interrompt des films par de la publicité.

L’une des principales missions de l’Agence serait donc de sensibiliser les médias à cette lacune de l’information qu’ils véhiculent. Pour obtenir ce résultat, un « point presse » au moins trimestriel serait indispensable, afin de détailler les opérations en cours ou à venir et d’insister sur le bénéfice culturel général qui résulterait d’une mise en exergue des bailleurs de fonds. Parallèlement, il ne serait pas inutile de suggérer discrètement aux entreprises elles-mêmes d’exercer les pressions dont elles disposent (principalement l’achat d’espace, comme on le sait) pour convaincre les patrons de presse de faire la leçon à leurs équipes. De cette synergie pratiquée sans relâche ni complexe, et au vu des résultats obtenus, devrait découler une prise de conscience de la culture de mécénat et de ses bienfaits.

Dans la même optique de visibilité, l’Agence veillera à l’apposition systématique et répétée, sur les lieux d’une opération parrainée, du nom, du logo, du slogan de l’entreprise comme cela se constate sans état d’âme sur les stades par exemple. Encore une fois il y a une mentalité à inverser.

Un autre volet de la mission de l’Agence devrait consister à introduire l’idée que les mécènes potentiels ne se recrutent pas uniquement parmi les très grandes entreprises, généralement multinationales, en mesure d’assurer seules la mise en œuvre d’un projet. Une entreprise de taille moyenne, voire un artisan notoire, ou un simple particulier, doivent trouver leur place dans le dispositif. Pour ce faire, il serait intéressant de s’inspirer de certains documents de festivals, spectacles, génériques de films, où l’on voit défiler les enseignes des participants au budget. Ce qui se fait au niveau local et souvent pour de petites manifestations devrait pouvoir s’étendre à des opérations de plus vaste envergure, en particulier dans la conservation du patrimoine. Un panneau valorisant les divers associés d’un consortium de parrainage serait bienvenu sur les lieux mêmes, ainsi que leur énumération dans la bouche des commentateurs : encore une habitude à prendre.

Des considérations qui précèdent, il ressort que l’une des missions importantes de l’Agence est la mise en relation des entreprises avec les opérateurs (culturels surtout, mais aussi les autres) qui ont besoin d’être soutenus, ceux qui le sont parfois mais insuffisamment, ceux qui ne le sont pas du tout, ni par l’État, ni par les collectivités locales, ni par le privé. Et la mise en relation des entreprises entre elles, afin (direction à explorer) qu’elles puissent définir de concert d’éventuelles alliances de mécénat, soit ponctuellement, soit à plus long terme.

Un point particulier sur lequel il faut s’arrêter est le lien privilégié à établir avec les entreprises des pays francophones, spécialement le Canada (Québec), la Suisse et la Belgique, et aussi les pays non majoritairement francophones, mais qui adhèrent à l’O.I.F. Le Forum francophone des affaires (FFA) dont les réseaux regroupent 70 comités nationaux sur tous les continents, serait un partenaire naturel de l’Agence.

Cette mission de liaison dévolue à l’Agence exige un recensement aussi exhaustif que possible des entreprises, de leurs desiderata, et des chantiers en attente ; travail, pour ce qui concerne la liste des grandes entreprises françaises, en partie accompli par Admical, (qu’il serait sans doute opportun d’impliquer dans le processus ; son activité éditoriale – répertoire des entreprises mécènes, guides juridiques – a l’avantage d’exister déjà.) Carrefour et messagerie à la fois des mécènes et des chercheurs de mécène, l’Agence se doit de publier annuellement la liste détaillée des uns et des autres et une lettre mensuelle d’information par voie électronique sur les projets nouvellement élaborés ou activés.

Des « états généraux du mécénat » auraient vocation à présenter pour chaque Région, d’une part un « cahier de doléances » recensant les chantiers et projets en attente de subvention, d’autre part une liste détaillée des entreprises souhaitant participer à un programme de parrainage. Mais pour les motiver, il convient au préalable de leur expliquer en quoi, grâce à l’Agence, à son effort de centralisation des « rencontres », à son style de communication et d’incitation à la communication, les rapports multilatéraux entre l’entreprise mécène, les bénéficiaires, l’appareil médiatique et le public vont changer. Ces états généraux pourraient être aussi le lieu d’un réexamen et de propositions quant aux allègements d’impôts, tant pour les sociétés que pour les personnes privées.

 

Michel Mourlet

28/2/2017

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